Voilà presque un an que je n’arrive plus à écrire. En suis-je incapable ou est-ce plutôt que je me l’interdis ? Je ne sais plus, je n’en suis pas sûre. Mais les faits sont là : il y a un an, j’ai voulu m’exprimer, me faire entendre et on m’a faite taire.
Avez-vous déjà goûté à l’amertume laissée par ce sentiment d’injustice, quand au fond de soi on connait la valeur de son message, quel qu’il soit, mais que ce dernier est dénigré, moqué ? Cette frustration acide, qui brûle nos lèvres, car on nous force à les garder scellées. Si mes mots seront forts aujourd’hui, c’est parce que je veux en faire un bouclier. Pour ne plus me laisser blesser par ceux des autres, comme ce jour-là.
Ce jour-là j’ai voulu m’exprimer et on m’en a empêché. Ce jour-là je n’ai pas eu le dernier mot mais aujourd’hui je veux reprendre la narration de mon histoire. Comme beaucoup je crois, la confiance en soi a toujours été mon grand cheval de bataille, d’aussi loin que les mots me viennent. Alors quand je me suis armée de tout mon courage et qu’on m’a d’un simple revers renvoyée au fond de ma tranchée, je n’ai pas trouvé la force de me relever. À travers son assaut, tous les autres coups portés sur mon estime cruellement fragile ont fini de m’achever. « Si une personne te dit que tu es un cheval, n’y prête pas attention. Si deux personnes te disent que tu es un cheval, commence à dresser l’oreille. Si trois personnes te disent que tu es un cheval, cours t’acheter une selle ».
On ne répètera jamais assez l’importance et l’impact de nos paroles. Car ce jour-là, ma cavalerie était anéantie, j’étais bonne à m’acheter une selle et une dignité.
Tant mieux si mes mots vous font sourire, tant pis si mes maux vous semblent exagérés. Cela vous appartient et cela ne doit pas m’atteindre. Non, cela ne doit plus m’atteindre. Ce que j’apprends depuis presque un an, c’est à me comprendre, à m’aimer mais aussi me fortifier, me blinder. J’espère que vous appréciez la métaphore militaire, parce que là pour le coup, c’est pas ma guerre. J’ai tellement de combats à mener, tellement de jours à devoir m’affronter moi-même. Tellement. Trop.
Qui aimerait être dans une position où quatre lettres, deux mots, une question : « ça va ? » provoque un bombardement intérieur ? C’est harassant. Surtout quand ton corps, habituellement gentil petit soldat, te lâche. L’état-major a rendu les armes, merci bonsoir démerdez-vous. Sérotonine et ses copines ont déserté et toi tu te noies dans un océan de larmes. Alors tu bois les paroles de tes psys et t’avales docilement tes médicaments. Des pilules pour te faire rentrer dans les rangs : tu marches pas droit, mais au moins tu chiales pas. Puis tu dors, tu dors, tu dors encore.
Puis on espère qu’un jour on n’en aura plus besoin. Aujourd’hui n’est pas encore ce jour. Aujourd’hui j’écris depuis mon téléphone, car je ne supporte plus d’être devant mon écran d’ordinateur. Cet écran derrière lequel je n’ai pas pu cacher mes larmes, lors d’une réunion virtuelle où des paroles bien réelles m’ont faite basculer. Mais aujourd’hui j’ai écrit, j’ai exercé ma liberté d’expression. Peut-être que personne ne me lira mais aujourd’hui j’ai écrit. C’est un droit que je prends et un devoir que je me donne. Alors peut-être que personne ne me lira ou n’appréciera me lire. Peut-être. Mais je sais que ce n’est pas ça qui définira la valeur de ces mots sur mes maux. J’ai mené cette joute verbale pour moi. Aujourd’hui est une victoire.